Répétition et trauma chez les enfants d'Arménie

(Extrait du texte)

A la suite du séisme du 7 décembre 1988 une mission de Médecins du Monde est arrivée sur le terrain avec une équipe médicale.

Passés les secours de première urgence, est apparue l'urgence d'une aide particulière pour les "détresses psychiques". Je cite un rapport de l'époque : " les enfants présentaient les signes d'une névrose traumatique grave, et certains ont développé des phénomènes psychosomatiques (affections dont ils étaient indemnes avant le séisme), d'autres se sont enfermés dans un mutisme confinant à l'autisme ".

Mon intervention s'est située à deux niveaux : d'une part je travaillais avec les psychologues français sur les difficultés qu'ils pouvaient rencontrer dans leur travail, d'autre part J'assurais des consultations pour les familles en situation très difficile.

J'ai centré mon travail sur le repérage clinique des symptômes : état dépressif, anorexie, mutisme, phénomènes psychosomatiques, troubles du sommeil, du comportement etc. Pendant les entretiens, j'ai été surpris de la facilité des Arméniens à associer idées et souvenirs à mes questions, à parler de leur intimité.

Laisser la place à l'expression individuelle a ouvert au sujet la possibilité de formuler leur histoire personnelle, et de s'approprier cette histoire interrompue par l'événement.

Dans l'après-coup de notre travail, nous avons pu constater que les entretiens menés avaient eu pour effet de permettre à un certain nombre d'enfants et à leurs parents d'exprimer l'insupportable, et ce faisant, de symboliser leur souffrance.

Trouver un lien par la parole a eu comme conséquence un soulagement de l'angoisse.
Quand je suis arrivé au lieu de consultations à Kirovakan, j'ai observé les personnes qui m'attendaient, assises en silence, le regard lointain. Au cours de la journée je sortais de temps en temps, les personnes qui se trouvaient là venaient me raconter leur version du tremblement de terre. Petit à petit chacun se rendait compte que ce qu'il avait vécu différait de ce qu'avait vécu son voisin. Les récits s'entremêlaient, et les discussions s'animaient peu à peu au fil de la journée.
Ces liens recréés leur permettaient de rétablir un tissu social brutalement déchiré, de s'extraire de la mortification et de relancer une dialectique de vie et de désir.

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